Le mal jaune by Lartéguy Jean

Le mal jaune by Lartéguy Jean

Auteur:Lartéguy Jean [Jean, Lartéguy]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2013-05-06T04:00:00+00:00


II

L’HOMME DES SECTES

La journée du 26 avril à Cho Lón comme à Sài Gòn fut des plus calmes. Mais l’abcès restait dans le ciel et la pluie ne venait pas.

Julien dormit jusqu’à 11 heures du matin puis se rendit à pied chez le Gros. Son bureau, qui ne payait guère de mine, mais où se traitaient d’importantes affaires rarement régulières, se trouvait dans ce même quartier grouillant de Da Kao que la chambre du jeune homme. La vie était plus chère à Sài Gòn qu’à Hà Nôi et Rovignon payait mal. Quand il était à bout de ressources Julien empruntait au Gros de petites sommes, lui jurant bien de ne jamais les rembourser. Il estimait que par ces emprunts modiques il n’engageait pas son indépendance, et que seuls les sots pouvaient mettre leur fierté dans ces ridicules questions d’argent. Pour les mêmes raisons il acceptait qu’une femme qu’il avait amusée, ou à laquelle il avait procuré du plaisir, l’aidât à terminer sa semaine.

Le Gros était tassé dans son fauteuil, en face d’un ventilateur. Il fit signe à Julien de s’asseoir puis il cracha dans le cendrier avec l’habileté d’un compradorxxv chinois.

— J’ai un travail pour toi… sur mesure… dit-il enfin.

— J’en veux pas. Tes trafics d’armes et de drogue ne m’intéressent que vus de loin. Qu’est-ce que sont devenus les types que tu as envoyés récupérer en zone viêt minh ce stock d’opium entreposé dans de vieux tombeaux près de Sam Neua ?

— Plus de nouvelles. Ils connaissaient les risques et n’avaient rien à perdre. Ils avaient dix chances sur cent de réussir, dix chances sur cent de gagner un million de piastres, alors qu’à Sài Gòn ils ne seraient pas restés vivants plus d’une semaine. Ils avaient des ennuis avec la police des Bình Xuyên. Je sais très bien faire la différence entre des fripouilles comme eux, bons pour toutes les besognes, et un garçon comme toi qui traîne un peu la savate parce que ça l’amuse. Je me suis mal exprimé, je n’ai pas un travail pour toi mais j’ai un service à te demander. Un ami va venir…

— Tu veux parler de Résengier ? C’est le secret de Polichinelle. Les chefs de Sectes et les militaires français iront l’accueillir à l’aérodrome avec des trompettes. Il ne manquera même pas quelques officiers américains en civil et une escouade de policiers du président. Ton ami vient trop tard.

— Il sera là demain et je voudrais que tu l’attendes à un endroit que je te dirai pour lui remettre un pli que je te donnerai.

— Si c’est pour te rendre service, je veux bien. Je suis curieux de rencontrer ce personnage. Enfin peux-tu me dire ce qu’il vient faire à Sài Gòn ?

Le Gros secoua la tête et refusa de répondre. Ce tas de graisse était parfois plus secret qu’un bouddha.

Le jeune homme était d’ailleurs pressé de retrouver sa chambre, sans ventilateur, où couraient les margouillats. Une métisse sino-laotienne, Li Kiao, devait l’attendre. Elle était propriétaire d’un bar près du marché et il la convoitait depuis longtemps.



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